Millenium Actress, de Satoshi Kon (2001)
Au cours de son oeuvre, Satoshi Kon nous avait jusque-là habitués à la tendance toujours plus grande chez lui de la double perception. Perfect Blue était déjà dans cette mouvance, proposant au spectateur un triller psychologique où il devenait parfois difficile de discerner le réel de l'irréel. Millenium Actress s'inscrit encore davantage dans cette optique, mais le but ici n'est pas le même, et le propos se révèle être bien plus fantaisiste, malgré un scénario plus complexe et plus adulte (si j'ose dire, Perfect Blue étant déjà déconseillé aux âmes sensibles).
C'est dans le monde actuel que l'histoire débute, lorsqu'un journaliste de télévision, Genya Tachibana, part avec son caméraman à la rencontre d'une actrice oubliée de 70 ans, Chiyoko Fujiwara, ancienne grande star du cinéma populaire Japonais. Genya Tachibana est en réalité un fan absolu de l'actrice. Il connaît tous ses films par cour et cette visite est pour lui un véritable aboutissement dans la vie. Lors de leur rencontre, il lui offre une petite clé en or, ce qui réveille alors des souvenirs en Chiyoko, qui se met dès lors à raconter sa vie, et ce depuis sa naissance dans les années 20. Une intrigue amoureuse s'étend tout le long du film, durant laquelle l'actrice cherche pendant des décennies un homme rencontré dans sa jeunesse, et qui se trouve être poursuivi par les services secrets Japonais.
Et c'est là où le diptyque réel/imaginaire fait son apparition. La vie de Chiyoko, racontée dans ses moindres détails sous l'oil de la caméra de télévision, entraîne chez Genya une implication physique étonnante. Nous voyons donc Chiyoko dans sa jeunesse issue de ses souvenirs, avec à ses côtés Genya l'observant avec surprise et respect, son caméraman étant à côté de lui. Dur de comprendre les motivations de Satoshi Kon pour cette forme d'expression filmique inédite, mais cela a son charme. Par exemple, lors d'un tournage de film chambara (film de sabre japonais), l'actrice ne semble plus être une comédienne, mais bel et bien une femme torturée par la mort de son shogun de mari et persécutée, poursuivie par des samurai ennemis. C'est alors que - dans cet imaginaire diablement et curieusement réel - Genya en personne intervient en uniforme de samurai pour aider la pauvre Chiyoko, sous l'oil attentif et néanmoins agacé du cameraman ! Surprenant sans doute pour le spectateur, mais pourtant absolument génial.
 
Le film en devient alors incroyablement palpitant : les scènes d'action sont mises en musique et en scène avec une virtuosité sans égale ; l'intrigue tragique vient contrebalancer l'aspect burlesque, et parfois même inquiétant, de la présence de Genya dans les souvenirs de Chiyoko.
En fin de compte, Millenium Actress est une formidable histoire d'amour, dont la conclusion est très sûrement l'une des plus originales et jouissives que je connaisse.
On ne peut regretter qu'une chose chez Satoshi Kon : à l'image de Perfect Blue, Millenium Actress est très inégal : le très beau côtoie le très moyen, surtout dans l'expression des personnages et dans l'animation. Heureusement encore, le très beau prédomine, et ce film en devient donc incontournable.
Yaku
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